Aujourd’hui, ma fille a 7 mois et 2 jours… en âge réel. 5 mois et 27 jours en âge corrigé. Aujourd’hui, à l’occasion de la journée mondiale de la prématurité, je vais vous raconter notre histoire.

Mais avant quelques points techniques. Pour plus de simplicité, je parlerais en semaines de grossesse (et non semaines d’aménorrhées comme il est de coutume lors d’un suivi de grossesse).
Une grossesse est considérée comme arrivée à terme à 40 semaines de grossesse.
On considère une naissance comme prématurée modérée lorsqu’elle survient entre la 31 et 35eme semaine de grossesse, qu’on considère un enfant grand prématuré lorsqu’il est née entre la 26 et 30eme semaine de grossesse et très grand prématuré lorsqu’il est né avant la 26eme semaine de grossesse.
L’age corrigé est l’âge qu’aurait un enfant prématuré s’il était né à terme. C’est l’âge avec lequel le personnel médical évalue son développement. Et l’âge réel, son âge chronologique.

Maintenant que toutes les subtilités techniques autour de la prématurité ont été abordées, je vais vous parler de ma petite fée. De ma grossesse. De toute cette expérience. Cela ne vous intéressera sûrement pas, ce n’est pas grave. Mais en ce journée mondiale de la prématurité, j’ai envie de partager mon histoire pour aussi d’une certaine manière m’en décharger, car, quelque soit le degré de prématurité, une naissance prématurée est souvent un souvenir douloureux, traumatisant….

Aëlys est née à 33 semaines d’une grossesse psychologiquement éprouvante sur la fin. Durant ma 28eme semaine de grossesse, le soir même de ma babyshower, j’ai été hospitalisée pendant une semaine pour cause de menace d’accouchement prématuré.

Pendant un instant, mon monde s’était écroulé. C’était beaucoup trop tôt. Ce n’était pas censé se passer comme cela. Elle ne pouvait pas sortir maintenant. Ce n’était simplement pas possible ! Dans la continuité d’une grossesse que je trouvais déjà très médicalisée à mon plus grand regret pour cause de diabète gestationnel et de problèmes de tension, je m’étais retrouvée pendant 4 jours à enchaîner traitements pour arrêter les contractions, maturer les poumons de bébé « au cas où »  pour finir reliée à une perfusion pendant 48 heures. A l’issue d’une hospitalisation pénible à plein de niveaux, j’ai eu comme consigne de rester alitée pour toute la durée restante de ma grossesse… 11 semaines à n’avoir le droit de me lever que pour aller prendre une douche rapide et aller aux toilettes.

Psychologiquement, c’est dur. On se demande déjà ce qu’on a mal fait, est-ce que c’est de notre faute, pourquoi notre corps flanche… On se sent coupable. On voit ces autres femmes enceintes rester beaucoup plus qu’actives sans soucis majeurs. On s’en veut. On en veut à son corps. Et on vit avec une épée de Damoclès au dessus de l’utérus. On se lève tous les matins en espérant qu’on arrivera à la fin de journée sans avoir plus de 10 contractions, sans perdre les eaux, sans mettre au monde trop tôt ce petit être pas encore prêt. On s’endort tous les soirs en espérant que la nuit se passe bien et en se félicitant d’avoir tenu une journée de plus. « Une journée de gagnée est un risque en moins pour bébé ». On se lève et on recommence. Jour après jour.

Mon corps n’aura tenu que 4 semaines. J’ai perdu les eaux alors que j’étais en train de regarder un film/docu sur les Backstreet Boys sur Netflix. True Story. « Backstreet Back ALRIGHT! » (documentaire que je n’ai toujours pas fini d’ailleurs). Bref. Mon corps n’a tenu que 4 semaines au lieu de 11 pour une grossesse à terme et 6 pour sortir de la prématurité. Et malgré cela, je n’ai jamais été aussi sereine que le jour de mon accouchement. Tout allait bien se passer, il ne pouvait pas en être autrement. Et grâce à la merveilleuse équipe médicale de la maternité des Lilas, il n’en a pas été autrement. Après une grossesse qui m’aura miné de longs mois, j’ai eu l’accouchement dont j’avais rêvé et même mieux. Tout se passait très bien, j’avais mis au monde le plus beau bébé de la terre qui malgré son arrivée prématurée n’avait aucune complication et allait très bien… pendant ses premières 24 heures.

La vie est tellement pleine de surprises et d’ironie… Ou comment le plus jour de votre vie peut être suivi du pire.

Le lendemain de sa naissance, alors que j’admirais la petite merveille qui m’avait fait l’honneur de me choisir comme mère, je l’ai vue ne plus respirer et devenir livide puis bleue, sans réaction. Jusqu’à la fin de mes jours, je n’oublierais jamais ma course dans les couloirs de la maternité, ma fille bleue dans les bras à la recherche d’un médecin. Il m’est impossible d’en parler, de l’écrire, de m’en souvenir sans avoir les larmes qui me montent aux yeux, mon cœur qui se fend et un sentiment de panique que m’envahit encore. Après avoir reçu de l’oxygène et repris une couleur normale, elle est restée en observation sous une couveuse à la maternité pendant toute la journée. J’étais censée la retrouver le lendemain au petit matin, j’avais même mis mon réveil pour pouvoir me lever et me rendre à la nurserie et pouvoir prendre mon bébé dans mes bras. Mais encore une fois, rien ne s’est passé comme prévu. C’est à 1 h du matin dans la nuit qu’une des sage-femmes est venue me réveiller et m’annoncer que l’état de ma petite fée ne s’était pas amélioré. Au contraire. Qu’il allait falloir la transférer d’urgence dans un service de soins intensifs neonat mieux équipé pour diagnostiquer et traiter son problème.

2eme moment le plus dur de ma vie : devoir regarder s’éloigner à travers la porte vitrée de la maternité l’ambulance neonat qui emmène ma fille loin de moi alors qu’elle est dans une couveuse alimentée en oxygène, ne pas pouvoir l’accompagner car encore en observation et se retrouver à errer dans les couloirs de la maternité en plein milieu de la nuit, seule, cramponnée à son doudou avec comme seule consolation, le fait de savoir que son père est près d’elle. Mais pas moi…Le lendemain, grâce à un taxi offert par la maternité, j’ai eu enfin l’occasion de la voir… mais pas de la toucher. Installée dans une couveuse, reliée à tout plein de fils, mon bébé avait l’air si fragile, si petite, en souffrance. C’est déchirant. Tellement douloureux. 2 jours après son transfert, je quittais la maternité, seule, sans bébé dans les bras comme les mères dans les autres chambres, toujours accrochée à son doudou.

Une nouvelle vie commençait, mais pas celle que j’avais rêvé. Je m’étais vue rentrée de la maternité ma fille dans les bras, lui faisant visiter la maison, sa chambre, la couvrant de baisers et de câlins. J’y ai eu droit mais ce n’était plus pareil. Un nouveau rythme commençait pour nous : se lever toutes les 2/3 heures pour tirer du lait maternel, le stocker au frigo, se lever tôt le matin, re-tirer du lait, appeler l’hôpital pour prendre des nouvelles de la nuit, s’y diriger avec empressement, enfiler une blouse de protection, se stériliser les mains, se diriger vers son box, la voir allongée avec ses scopes branchés, sa sonde gastrique et tout autre attirail pour les examens en cours, passer la journée assis à côté de sa couveuse bercés par le bruit des machines, à peine manger à midi pour ne pas la quitter, le bal des infirmières et des médecins, repousser l’heure du départ mais éventuellement devoir la quitter car il faut rentrer manger, se reposer, et recommencer.

Aëlys a finalement fait 16 jours en neonat. Elle va très bien aujourd’hui. C’est une petite fille pleine d’énergie, bavarde en gazouillis, souriante et joyeuse. Pour nous, elle n’a aucune différence avec un bébé né à terme mais seulement on n’oubliera jamais. Je n’oublierais pas les terribles pleurs, les cris de douleurs de ma fille, sa peau devenue bleue, le déchirement et la douleur insoutenable de la séparation quotidienne, les soins, les branchements, les perfusions sur sa main si minuscule, la peur, la panique. Parfois, j’entends encore les bips des machines dans ma tête. Mais nous n’oublierons jamais non plus l’amour (L’AMOUR!), les progrès, la première fois qu’on a pu la baigner (qui n’était pas son premier bain 🙁 ), la première tétée réussie, le premier biberon de lait maternel totalement englouti, les peaux à peaux, les premiers moments d’éveil et ces câlins certes différents du fait des appareils mais toujours aussi émouvants.

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Je profite aussi de cette journée mondiale de la prématurité pour remercier tout d’abord le personnel de la maternité des Lilas. Une des raisons pour lesquelles j’étais sereine lors de cet accouchement, c’est elles ! Leur soutien et bienveillance tout au long de cette grossesse. Je revois encore la sage-femme rester avec moi, essuyant mes larmes, me serrant la main, me prenant dans ses bras alors que le SMUR s’éloignait emmenant ma fille loin de moi. Si prochain enfant il y’a, ce sera au lilas ou nulle part. Mais aussi les équipes de neonatologie et plus particulièrement toute l’équipe du service de neonat de l’hôpital Jean Verdier à Bondy. Ça a été pour moi une expérience traumatisante qui a soulevé beaucoup de culpabilité, de détresse et  d’impuissance. Et l’équipe nous a toujours soutenu, consolé avec des mots et des gestes rassurants que ce soit lorsqu’elle n’arrivait pas à s’alimenter autrement que par sonde ou lors de la mise en place laborieuse de l’allaitement ou face aux incertitudes liés à son état de santé. Ma fille a quitté l’hôpital il y a 6 mois et demi et les infirmières prennent toujours de ses nouvelles, nous donnent des conseils. Je n’ai vraiment pas de mots pour dire à quel point ma famille leur est reconnaissante.

Ma fille est bien loin d’être un cas isolé comme vous l’imaginez. Et comme dirait l’autre, ça aurait pu être pire. Ça l’est pour certains. Je pense aux parents de grands prématurés et d’enfant nés plus tôt qu’elle.  « En France, 1 bébé naît prématurément toutes les 8 minutes. » L’association SOS Prema aide et soutient les parents dans cette épreuve de la séparation mais aussi à se préparer pour la suite car le retour à la maison avec un bébé prématuré n’est pas le même que celui avec un bébé né à terme.J’ai eu l’occasion de parler avec des bénévoles de l’association, à la recherche de réponses et l’écoute et l’accueil que j’y ai reçu ont été d’une grande aide.

Pour finir, si il y a bien une chose que je retiens de cette expérience, de ces épreuves, c’est que ces petits bouts d’homme et de femme sont de vrais battants, des petits guerriers. Les enfants prématurés se battent avec une force incroyable et nous la transmettent en même temps.

Source de l’image d’illustration : Tommy’s Org